Nicole Sulu : « Le forum Makutano, un pont entre les écosystèmes entrepreneuriaux congolais et ivoirien »
Nicole Sulu, entrepreneure congolaise dynamique, était l’invitée du média économique ivoirien Ivoire CEO à l’occasion de la neuvième édition du Forum Makutano organisé à Abidjan en 2023. Dans cette interview, Mme Sulu évoque les motivations et les opportunités qu’offre ce forum des affaires pour stimuler les échanges économiques entre la République démocratique du Congo et la Côte d’Ivoire. Elle met en avant les atouts complémentaires des deux pays, identifie des secteurs prioritaires de coopération et détaille les initiatives concrètes déclenchées lors de l’évènement pour connecter les écosystèmes entrepreneuriaux congolais et ivoirien. Mme Sulu livre également sa vision pour faire d’Abidjan, de Kinshasa et de Johannesburg des pôles majeurs du secteur tertiaire en Afrique. Enfin, elle adresse un message aux entrepreneurs ivoiriens pour les encourager à saisir les opportunités offertes par le marché congolais.
Madame SULU, pourquoi avoir choisi Abidjan et la Côte d’Ivoire pour accueillir pour la première fois le Business Forum Makutano hors de l’Afrique Centrale ?
Bien que le forum Makutano soit né en RDC, notre ambition est résolument panafricaine. Nous avons la volonté de permettre aux chefs d’entreprises africains d’être pleinement porteurs de solutions face aux enjeux du développement du continent. D’abord par la rencontre, l’interaction et les partenariats entre pairs puis, par le dialogue avec les décideurs publics afin d’améliorer notre compétitivité et notre performance.
Ce travail, nous le faisons depuis bientôt une décennie en Afrique centrale. Les fondations étant suffisamment solides, nous avons élargi notre action.
Pour y parvenir, la casquette de chef d’entreprise n’est jamais loin. À la question : Quel est la destination export la plus pertinente pour un acteur francophone d’Afrique de l’Ouest ? La réponse était sans équivoque : la Côte d’ivoire ! La population francophone, c’est l’un des deux poumons économiques d’Afrique de l’Ouest avec le Nigeria, le port d’Abidjan dispose d’un hinterland significatif et la ville est idéalement placée dans le couloir Abidjan-Lagos qui pèse près de 75% du PIB de la CEDEAO. Ce sont autant d’atouts qui rendent la destination incontournable.
Par ailleurs, les échanges entre la RDC et la Côte d’Ivoire augmentent comme le témoigne la récente ouverture d’une ligne aérienne entre Abidjan-Kinshasa.
Les projets de coopération annoncés à l’issue du Forum ont conforté ce choix.
Quelles opportunités d’affaires voyez-vous entre la RDC et la Côte d’Ivoire à travers cet évènement ?
La RDC est un pays continent de plus de 90 millions d’habitants dont 15 millions dans une mégalopole comme Kinshasa. La Côte d’Ivoire est la porte d’entrée pour de nombreux pays enclavés d’Afrique de l’ouest tout en totalisant 40% du PIB de l’UEMOA. Vous comprenez aisément que les opportunités sont nombreuses. Au-delà des secteurs essentiels que sont l’agriculture et l’industrie où les deux pays ont des atouts indéniables, je crois énormément en un lien entre Abidjan et Kinshasa dans le secteur tertiaire. Nous ne parviendrons à relever le défi de la transformation des matières premières que si nous réussissons parallèlement le défi de la tertiarisation qui dépend du développement du capital humain. La production locale est essentielle. Il faut lui adjoindre la recherche locale en amont et la distribution locale en aval.
Des pays comme la Côte d’Ivoire et la RDC disposent de talents en grande quantité pour répondre à ce défi. Ainsi, nous pourrons devenir de grands centres de R&D, de finance, de logistique intégrée dans les secteurs où nous avons un avantage concurrentiel comme les industries créatives et culturelles, le cacao, les mines, l’exploitation minière et forestière.
De quelles manières concrètes le Forum Makutano peut-il contribuer au développement des échanges commerciaux entre les deux pays ?
Nous remarquons qu’il y a une grande quantité de sociétés africaines qui peinent à mettre en œuvre leur stratégie de commerce internationale. Ce qui manque, ce sont les opportunités de rencontre, d’échange et de collaboration pour atteindre des objectifs communs à l’échelle du continent, puisque nos problèmes sont communs. Au Forum Makutano, nous mettons l’accent sur les solutions. Comme nous vivons ces difficultés au quotidien en tant que dirigeants d’entreprises, nous sommes plus intéressés par les solutions que nous pouvons trouver collectivement : au financement du commerce international, à l’intégration des chaînes de valeur panafricaine, à la formation des talents, etc. Sur les problématiques de financement par exemple, deux conventions d’une valeur de 15 millions de USD ont été signées au Makutano entre Proparco et les banques congolaises EquityBCDC et Advans Banque Congo. Elles visent à soutenir l’essor des PME, notamment par le développement à l’export. C’est par ce type de solutions concrètes facilitées par le Forum Makutano que les entreprises vont pouvoir opérationnaliser leurs stratégies d’expansion.
Quels sont les secteurs prioritaires identifiés par le Forum Makutano pour stimuler les partenariats économiques RDC-Côte d’Ivoire ?
Au-delà des secteurs essentiels que sont l’agriculture et l’industrie où les deux pays ont des atouts indéniables, je crois en un axe fort Abidjan-Kinshasa-Johannesburg. Ce sont trois mégalopoles extrêmement dynamiques et pleines d’opportunités d’avenir ! Johannesburg abrite déjà des géants du secteur privé panafricain comme MTN, Sasol, Anglo American, Discovery, etc. Abidjan, à l’autre bout, a des groupes privés importants comme SIFCA ou NSIA. Kinshasa doit être le trait d’union entre les deux pour créer un lien dans le secteur tertiaire. Les trois pays ont des ressources naturelles abondantes, l’Afrique du Sud a une économie industrialisée et diversifiée tandis que la RDC et la Côte d’Ivoire sont dans une démarche de transformation économique.
Nous ne parviendrons à relever le défi de la transformation des matières premières que si nous réussissons parallèlement le défi de la tertiarisation qui dépend du développement du capital humain. La production locale est essentielle. Il faut lui adjoindre la recherche locale en amont et la distribution locale en aval.
Des pays comme la Côte d’Ivoire et la RDC disposent de talents en grande quantité pour répondre à ce défi. Ainsi, nous pourrons devenir de grands centres de R&D, de finance, de logistique intégrée dans les secteurs où nous avons un avantage concurrentiel comme les industries créatives et culturelles, le cacao, l’anacarde, les mines, l’exploitation minière et forestière.
Comment impliquez-vous les décideurs politiques ivoiriens pour favoriser un environnement propice aux affaires entre nos deux pays ?
Le Forum Makutano est né de la volonté d’ouvrir le dialogue entre les décideurs publics et les dirigeants privés pour créer ensemble l’Afrique que nous voulons !
Cette approche qui favorise l’échange direct et franc fonctionne bien en RDC où nous le pratiquons depuis bientôt 10 ans. Cela permet à chaque partie d’avoir une meilleure connaissance de l’autre, de ses réalités, de ses enjeux. Bien sûr, cela demande une vision à moyen termes pour que les pistes de résolution identifiées ensembles puissent se traduire en solution et enfin être mises en place. En tant que chefs d’entreprises, nous aimons quand les choses vont vite, mais un rendez-vous comme le Forum Makutano nous donne aussi à comprendre le temps du secteur public. C’est la même méthode que nous avons appliquée avec les décideurs publics ivoiriens. Nous avons pu identifier et aborder les points qui méritent une attention particulière.
Ils ont été dûment formulés et débattus lors de l’événement !
Quel message adressez-vous aux entrepreneurs ivoiriens pour les inciter à saisir les opportunités offertes par le marché congolais ?
Je pense que le seul message à adresser en plus des éléments sur la dynamique de croissance économique et la diversité des besoins des consommateurs abordés lors du Forum c’est : “Venez et voyez !”
Au-delà de cet évènement, comment le réseau Makutano peut-il accompagner durablement les entreprises ivoiriennes souhaitant s’implanter en RDC ?
À travers le réseau, les entreprises ont un point d’entrée solide en RDC tant nous fédérons tous les principaux acteurs publics comme privés. Au sein du Réseau Makutano ils pourront à la fois trouver des solutions pour créer leurs sociétés auprès de l’ANAPI et avec des avocats fiables membres du réseau. Ils pourront trouver également un partenaire pour leur permettre de lancer une coentreprise dans le cas où un partenaire local serait nécessaire. Le Réseau Makutano fournit aux entreprises ce qu’il y a de plus précieux : des informations fiables ainsi qu’un réseau qualitatif !
Quelles initiatives concrètes le Forum Makutano a-t-il enclenchées pour connecter les écosystèmes entrepreneuriaux ivoirien et congolais ?
Les discussions entre décideurs ont abouti à divers projets stratégiques dans les domaines de la promotion des affaires et du financement de l’économie.
La plus grande réalisation a été l’entente pour l’entame du processus de suppression des visas entre nos deux pays. Un pas de géant vers la fluidification de la circulation des biens et des personnes, qui est un prérequis pour le renforcement des échanges commerciaux entre nos pays.
Dans la même lignée, les agences pour la promotion des investissements respectifs de nos deux pays ont convenu d’une première mission économique Côte d’Ivoire – RDC dès 22 mars 2024 avec l’objectif de signer un protocole d’accord de collaboration pour une promotion réciproque des investissements.
Propos recueillis par la rédaction