Chronologie d’une cession avortée
Le groupe bancaire Oragroup – holding de la marque Orabank, présente dans 12 pays d’Afrique de l’Ouest et du Centre – a vu sa tentative de rachat par Vista Group tomber à l’eau après de multiples rebondissements. Un premier protocole d’accord avait été signé en août 2023 entre le principal actionnaire Emerging Capital Partners (ECP) et Vista Group, prévoyant la vente d’environ 61,4 % du capital d’Oragroup (incluant les parts d’ECP et d’autres investisseurs institutionnels comme Proparco, BIO, DEG et Envol Afrique). L’opération devait propulser Vista, fondé par le financier burkinabè Simon Tiemtoré, à la tête d’un groupe bancaire de 16 pays avec plus de 270 agences et 10 milliards $ d’actifs, couvrant l’ensemble de l’UEMOA et une partie de la CEMAC. Cependant, ce premier accord a été annulé en raison de contraintes de calendrier réglementaires : la coordination des autorisations à obtenir auprès de multiples superviseurs (Commission bancaire de l’UEMOA, régulateurs en CEMAC, Guinée, Mauritanie) s’est révélée plus longue que prévu.
Malgré cet échec initial, Vista et ECP ont relancé le processus le 30 septembre 2024 en signant un nouvel accord de cession, Vista s’engageant à reprendre la participation de 50,01 % détenue par ECP. Vista avait d’ailleurs sécurisé le financement nécessaire, notamment via Afreximbank (prévoit 253 millions €) et la Banque ouest-africaine de développement (BOAD, 25 milliards FCFA) pour appuyer cette acquisition stratégique. Hélas, les obstacles n’ont pas disparu pour autant.
Vista se retire : les raisons d’un désistement surprise
Au mois de mai 2025, coup de théâtre : Vista Group jette l’éponge et notifie officiellement la fin de son projet de rachat d’Oragroup. Dans un courrier daté du 13 mai 2025 adressé aux parties prenantes, le holding présidé par Simon Tiemtoré annonce l’arrêt du processus d’acquisition en invoquant la “dégradation des actifs” d’Oragroup comme justification principale. En d’autres termes, la détérioration continue de la situation financière d’Oragroup a refroidi l’ardeur de Vista, déjà échaudé par les lenteurs et exigences réglementaires.
Selon plusieurs sources proches du dossier, ce retrait s’explique en effet par un cumul de facteurs : la difficulté à obtenir les approbations dans les différentes zones monétaires concernées, mais surtout la fragilisation accélérée du bilan d’Oragroup sur la période récente. Vista, qui s’était positionné pour renforcer sa présence panafricaine via Oragroup, a finalement redirigé sa stratégie vers d’autres opportunités jugées moins risquées. Le groupe bancaire burkinabè a par exemple concentré ses efforts sur le rachat de filiales de Société Générale au Burkina Faso et au Mozambique, et envisage même de créer une nouvelle banque de plein exercice en Côte d’Ivoire – autant de projets d’expansion qui se feront sans Oragroup.
Pour Oragroup, le désengagement de Vista constitue un revers majeur. Vista était considéré comme l’un des rares acquéreurs intéressés par la reprise du groupe ; son retrait laisse Oragroup sans partenaire stratégique évident, au moment où la confiance des investisseurs s’érode de plus en plus.
Des difficultés financières alarmantes
Si Vista a renoncé, c’est que la santé financière d’Oragroup s’est fortement dégradée. Les derniers résultats publiés font état de pertes abyssales, signe d’un renversement brutal par rapport aux performances passées. Après un bénéfice net record de +19,7 milliards FCFA en 2021, Oragroup est tombé dans le rouge. Le groupe a accusé une perte nette de –18,2 milliards FCFA en 2023, et les projections pour 2024 font état d’un déficit encore plus lourd, de l’ordre de –44,4 milliards FCFA. Autrement dit, les difficultés se sont amplifiées au fil des mois, malgré un léger mieux au premier semestre 2024 (perte semestrielle ramenée à 13,9 milliards).
Ces contre-performances ont mécaniquement affaibli la structure financière du groupe. Le total de bilan d’Oragroup a reculé d’environ 16 %, passant de 4 732 milliards FCFA en 2022 à 3 961 milliards en 2024. Surtout, les fonds propres se sont érodés sous la barre des 100 milliards FCFA fin 2024, mettant en péril le respect des normes prudentielles bancaires. En effet, les ratios de solvabilité exigés par la Banque centrale des États de l’Afrique de l’Ouest (BCEAO) sont très loin d’être respectés par Oragroup fin 2023, plaçant le groupe en situation de sous-capitalisation critique :
- Ratio Common Equity Tier 1 (CET1) : 2,3 % (vs minimum réglementaire de 7,5 %)
- Ratio Tier 1 : 2,4 % (vs 7,5 % requis)
- Ratio de solvabilité global : 3,9 % (vs 11,5 % requis).
À titre de comparaison, ces niveaux de solvabilité sont bien en-deçà des seuils prudentiels et témoignent d’un risque élevé pour la pérennité de la banque. D’ailleurs, l’agence Fitch Ratings avait successivement abaissé la note de crédit d’Oragroup en 2024, jusqu’à “CCC–” en avril 2024, en soulignant le risque de défaut sur les obligations senior du holding compte tenu du non-respect prolongé des exigences de capital et de tensions de liquidité au niveau de la holding. Fitch ira même jusqu’à classer Oragroup en catégorie C en novembre 2024 – considérant qu’un processus de défaut de paiement était enclenché – avant de rehausser légèrement la note à CC en février 2025 suite à l’obtention de financements relais de court terme. En parallèle, la Commission bancaire de l’UEMOA avait formellement mis en demeure Oragroup de se recapitaliser d’ici fin 2024 pour corriger ces manquements. Faute d’injection de capital frais, le spectre d’un défaut pur et simple, voire d’une intervention d’office du régulateur, devenait tangible.
La sanction a également été boursière : cotée à la BRVM (Bourse régionale d’Abidjan), l’action Oragroup a vu sa valeur chuter de plus de 50 % en trois ans【50†L151-L154**】, reflétant la défiance du marché. En somme, à l’heure du retrait de Vista, Oragroup se trouvait dans une zone financière dangereuse, avec une viabilité remise en cause à moyen terme en l’absence de recapitalisation massive.
Un plan de refinancement d’urgence avec les actionnaires historiques
Conscient de cette situation périlleuse, Oragroup tente désormais de se sauver par ses propres moyens, avec l’aide de ses actionnaires de référence et des autorités régulatrices régionales. Suite au départ de Vista, le conseil d’administration d’Oragroup SA réuni le 19 mai 2025 a validé un plan alternatif de financement s’appuyant sur les actionnaires institutionnels historiques du groupe, dont la BOAD (Banque ouest-africaine de développement). Ce plan d’urgence prévoit notamment une augmentation de capital dont une première tranche de 80 milliards FCFA devrait être levée dans les prochaines semaines. Les modalités précises de l’opération sont en cours de finalisation et devront être approuvées par les instances dirigeantes de chaque actionnaire concerné. L’objectif affiché est de doter Oragroup de ressources stables et long terme, afin de renflouer ses fonds propres, honorer ses engagements à court terme et rétablir la confiance nécessaire à la poursuite de ses activités.
Parmi ces actionnaires historiques figurent des institutions publiques et de développement qui accompagnaient Oragroup bien avant l’entrée en scène de Vista. La BOAD, déjà présente au capital (et partenaire financier clé du secteur bancaire régional), devrait jouer un rôle pivot dans le consortium de sauvetage. D’autres investisseurs institutionnels, tels que le Fonds gabonais d’investissements stratégiques (FGIS) ou des banques de développement européennes (Proparco, BIO, DEG) qui étaient parties prenantes du capital, pourraient également participer à la recapitalisation – à moins qu’ils ne préfèrent céder leurs parts dans ce nouveau schéma. Oragroup a en tout cas publiquement salué le soutien renouvelé de ses actionnaires, y voyant un gage de confiance et de “résilience de son modèle économique” malgré la tourmente actuelle.
Le rôle de la Banque Centrale (la BCEAO, via la Commission bancaire de l’UEMOA) sera également déterminant. Jusqu’à présent, le superviseur a multiplié les injonctions pour que la banque rétablisse sa situation, et suit le dossier de très près – comme en témoigne l’article de Financial Afrik titré “la BCEAO surveille” suite au retrait de Vista. Il n’est pas exclu que la BCEAO impose un calendrier strict au plan de redressement, ou des mesures conservatoires pour protéger les déposants dans les filiales d’Orabank, en attendant la concrétisation de l’augmentation de capital.
Entre tensions et scénarios pour l’avenir
L’abandon du rachat par Vista a placé Oragroup devant un défi existentiel : se recapitaliser en interne ou disparaître. Le retrait de cet investisseur, qui semblait être l’ultime solution externe, a laissé Oragroup dans l’expectative et a ravivé les craintes d’une issue dramatique. « L’absence de visibilité sur un plan de redressement clair laisse planer le spectre d’une restructuration plus radicale aux conséquences inconnues », note à ce sujet Sika Finance. En langage moins feutré, certains observateurs évoquent le risque d’une faillite pure et simple si le plan de sauvetage ne se concrétise pas rapidement.
Plusieurs scénarios se dessinent pour les prochains mois. Dans le scénario optimiste, Oragroup parvient à mettre en œuvre son plan de refinancement : les actionnaires injectent les 80 milliards FCFA (voire plus si nécessaire) permettant de reconstituer les ratios de solvabilité au niveau requis. Avec l’aval du régulateur, Oragroup éviterait ainsi une mise sous administration provisoire ou un démantèlement. Le groupe pourrait alors se concentrer sur un plan de restructuration interne, réduction des coûts et amélioration de la rentabilité pour progressivement retrouver la confiance du marché. Ce scénario de redressement passerait possiblement par une réorientation stratégique ou l’arrivée de nouveaux dirigeants – un processus déjà initié fin 2024 avec la nomination d’Ibrahima Diouf (ancien de la BOAD) comme président du Conseil.
Dans un scénario pessimiste, en revanche, le plan alternatif patine ou s’avère insuffisant. Si les fonds propres ne sont pas reconstitués à temps, Oragroup pourrait se retrouver en défaut de paiement sur ses obligations arrivant à échéance dès avril 2025, selon les alertes de Fitch. Le régulateur bancaire n’aurait alors d’autre choix que d’intervenir drastiquement. Cela pourrait prendre la forme d’une restructuration forcée : cession des filiales viables à d’autres banques de la région, mise en résolution de l’entité holding, ou encore appel à un sauveur de dernière minute (par exemple un État ou un fonds souverain régional). Un tel éclatement du groupe Orabank serait un coup dur pour l’intégration bancaire régionale, mais permettrait de protéger les déposants dans chaque pays.
Enfin, un scénario intermédiaire verrait Oragroup obtenir des répit temporaires – via, par exemple, des prêts relais supplémentaires de la part d’institutions publiques – pour éviter la cessation de paiements, tout en repoussant l’échéance d’une solution capitalistique définitive. Ce scénario prolongerait toutefois l’incertitude et les tensions, avec un coût en réputation et en opportunités commerciales pour Orabank.
Quoi qu’il en soit, l’heure est à la mobilisation autour d’Oragroup. Le sort de ce groupe bancaire panafricain, autrefois prometteur, est désormais suspendu à sa capacité à restaurer sa solvabilité dans un contexte de méfiance généralisée. Le dénouement de cet épisode aura des implications notables sur le secteur bancaire régional : il servira soit d’exemple de sauvetage réussi grâce au soutien des actionnaires institutionnels, soit de cas d’école d’une défaillance bancaire majeure dans l’UEMOA. Les prochaines semaines seront décisives pour déterminer si Oragroup parviendra à écrire un nouveau chapitre – en évitant le naufrage annoncé – ou si, au contraire, l’histoire se conclura par la disparition d’un acteur bancaire historique de la sous-région.
Mérimé Wilson