Le pari de la Côte d’Ivoire sur l’assurance maladie : une avancée audacieuse pour les agriculteurs, un test pour l’économie

Dans un pays où le cacao et le café alimentent l’économie tout en laissant nombre de leurs cultivateurs dans l’ombre de la prospérité, la décision de la Côte d’Ivoire d’étendre la couverture maladie universelle (CMU) gratuite aux planteurs de café et de cacao est aussi ambitieuse qu’essentielle. Prévue pour début 2025, cette mesure promet de redéfinir le contrat social dans une nation en quête de croissance inclusive. Mais si l’intention est louable, les obstacles économiques et logistiques sont redoutables. La Côte d’Ivoire parviendra-t-elle à tenir sa promesse sans compromettre sa santé budgétaire ?
Le contexte : un système de santé sous pression
Lancée en 2014, la CMU visait à combler l’immense fossé en matière d’accès aux soins en Côte d’Ivoire. Avec un système de santé miné par le sous-financement et des disparités criantes entre zones urbaines et rurales, le programme a peiné à s’imposer. En 2024, seuls 16 millions des 28 millions d’Ivoiriens sont inscrits, et la couverture reste inégale dans les régions rurales, où les infrastructures sont rares. Les taux de mortalité maternelle et infantile, bien qu’en amélioration, dépassent encore les moyennes régionales, tandis que des maladies comme le paludisme continuent de frapper les populations défavorisées. L’extension de la CMU aux planteurs de café et de cacao, piliers d’un secteur agricole représentant 20 % du PIB, entend s’attaquer de front à ces inégalités.
L’extension : une bouée de sauvetage pour les travailleurs ruraux
La nouvelle politique cible l’épine dorsale de l’économie d’exportation ivoirienne : les quelque 1,5 million de petits exploitants qui produisent le cacao et le café, faisant du pays une puissance mondiale des matières premières. Ces agriculteurs, souvent aux marges de subsistance étroites, ont longtemps été exclus des filets de sécurité sociale formels. En leur offrant un accès gratuit aux consultations, aux soins hospitaliers et aux médicaments essentiels, le gouvernement espère alléger le fardeau financier des maladies et stimuler la productivité. La logique est simple : des agriculteurs en meilleure santé garantissent une production plus stable, soutenant ainsi les revenus d’exportation et la stabilité économique.
Le calcul économique : gains de productivité contre pression budgétaire
Le potentiel économique est séduisant. L’agriculture, en particulier le cacao et le café, n’est pas qu’une affaire rurale : elle soutient la balance commerciale et les recettes fiscales du pays. Selon une étude de la Banque mondiale, améliorer l’accès aux soins dans les zones rurales pourrait accroître la productivité agricole de 15 %, ajoutant potentiellement 1,2 milliard de dollars au PIB sur cinq ans. De plus, réduire les dépenses de santé directes des ménages – estimées à 40 % du total des coûts de santé – pourrait libérer des revenus pour la consommation et l’investissement, dynamisant davantage la croissance.
Mais les implications budgétaires sont inquiétantes. Étendre la CMU aux agriculteurs coûtera environ 300 millions de dollars par an, selon les projections gouvernementales. Avec une dette publique atteignant 50 % du PIB et des déficits budgétaires qui s’élargissent, la question de la viabilité se pose avec acuité. Le gouvernement prévoit de financer cette expansion par un mélange de recettes internes et d’aides extérieures, mais ces deux sources sont incertaines. Les taxes sur les exportations de cacao et de café, une manne traditionnelle, sont vulnérables aux fluctuations des prix mondiaux, tandis que l’aide internationale se tourne de plus en plus vers les priorités climatiques et sécuritaires.
Les défis : lacunes en infrastructures et sensibilisation
Même si le financement est assuré, la mise en œuvre reste un défi. Les infrastructures de santé rurales sont cruellement insuffisantes : seuls 30 % des communautés rurales disposent d’un centre de santé à moins de 5 kilomètres, contre 80 % en zone urbaine. Le gouvernement s’est engagé à construire 200 nouveaux centres de santé ruraux d’ici 2026, mais des promesses similaires ont échoué par le passé, freinées par des contraintes budgétaires et une inertie bureaucratique.
Par ailleurs, la sensibilisation constitue un goulet d’étranglement majeur. De nombreux agriculteurs, surtout dans les zones reculées, ignorent encore l’existence de la CMU, sans parler de ses avantages. Une enquête de 2023 révèle que seuls 40 % des ménages ruraux savent comment s’inscrire au programme. Sans une campagne de sensibilisation efficace – mobilisant les leaders locaux, les coopératives et les outils numériques – cette extension risque de ne pas porter ses fruits.
Un pari risqué sur l’inclusion
La décision de la Côte d’Ivoire d’étendre la couverture maladie à ses planteurs de café et de cacao est une avancée audacieuse vers une croissance inclusive, mais elle n’est pas exempte de risques. En cas de succès, elle pourrait libérer des gains de productivité, réduire la pauvreté et renforcer le tissu social. Cependant, les défis financiers et logistiques sont considérables, et un échec pourrait saper la confiance dans les institutions publiques. Alors que le pays se dirige vers une année 2025 politiquement chargée, avec des élections en vue, l’enjeu est de taille. Le monde observera si la Côte d’Ivoire peut transformer ses ambitions sanitaires en réalité – ou si ce pari deviendra un nouvel exemple de surenchère.