Portrait de Pathé’O : le couturier qui a placé la mode africaine sur la scène mondiale

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Aîné de cultivateurs, Pathé Ouédraogo, plus connu sous le nom de Pathé’O, voit le jour en 1950 à Guibaré, au Burkina Faso. L’adolescent quitte son village à la fin des années 1960 et part à Abidjan pour apprendre la couture « par nécessité ». Dans la capitale économique ivoirienne, il fait un long apprentissage : pendant neuf ans il apprend la couture masculine puis féminine auprès de tailleurs et suit des cours par correspondance. En mars 1977, après l’ouverture de son propre atelier à Treichville (avenue 6, rue 17), il remporte le concours des Ciseaux d’or, ce qui lui ouvre les portes de la reconnaissance. Ce savoir‑faire patient et son sens de l’innovation le distinguent dans un milieu où l’on se moquait au départ de ses choix vestimentaires.

Explorer les textiles africains

Depuis ses débuts, Pathé’O défend l’idée d’une mode authentiquement africaine. Il crée ses propres étoffes après avoir dessiné un modèle, préférant l’artisanat aux tissus industriels qui lui sont proposés. Son objectif est d’explorer les pagnes tissés, le Faso Dan Fani, le Kita baoulé ou encore le voile mauritanien en proposant des lignes contemporaines. Il souhaite que les Africain·e·s travaillant en ville se sentent élégants dans des vêtements africains et qu’ils cessent d’avoir un complexe vis‑à‑vis des costumes occidentaux jugés inadaptés au climat chaud. Ses chemises aux tissus mouchetés et aux couleurs vives, inspirées des femmes des marchés qu’il observe, portent des noms évocateurs — « moucheté », « salade », « nuages » — et utilisent des motifs traditionnels comme le Faso Dan Fani. 

Cette démarche identitaire le conduit à développer une prêt‑à‑porter haut de gamme qui s’inscrit entre tradition et modernité. Il prône l’industrialisation de la mode en Afrique : selon lui, les tissus africains intéressent le monde entier et il faut « passer du cottage industry à la production de masse » pour que la mode contribue au développement économique du continent.

« Le couturier des chefs d’État »

Le style de Pathé’O séduit rapidement des personnalités de premier plan. Souvent surnommé « le couturier des chefs d’État », il habille Nelson Mandela, le roi Mohammed VI du Maroc, le Rwandais Paul Kagame, des présidents comme Laurent Gbagbo, Alpha Oumar Konaré ou Modibo Diarra et des artistes comme Koffi Olomidé. Sa relation avec Nelson Mandela marque un tournant. Vers 1994, la chanteuse sud‑africaine Miriam Makeba achète plusieurs chemises Pathé’O pour les offrir à l’ancien président sud‑africain ; ce dernier lui écrit plus tard une lettre où il affirme que « l’Afrique de demain appartient aux créateurs de richesses », ce qui encourage le styliste. La notoriété du couturier explose lorsque Mandela porte l’une de ses chemises lors d’un voyage officiel en France en 1997, entraînant un afflux de clients. 

Pathé’O possède aujourd’hui des boutiques en Côte d’Ivoire, au Burkina Faso, au Mali, en Angola, au Gabon, au Cameroun et au Congo. Son « pocket business » emploie environ 60 personnes et s’étend dans dix pays, tout en restant basé à Treichville, où il continue d’encadrer ses artisans. Il prévoit par ailleurs d’ouvrir un nouveau siège moderne à Cocody afin de former la prochaine génération de créateurs africains.

Engagements et collaborations internationales

Pathé’O a reçu plusieurs distinctions : il a été fait Officier de l’Ordre national de Côte d’Ivoire et a reçu en 2000 le Grand Prix du Président de la République pour les Arts et la Littérature. Une médaille d’honneur du travail lui a également été décernée pour sa persévérance. En 2024, un ouvrage d’art intitulé Pathé’o retrace sur une centaine de pages plus de cinquante ans de carrière et sa contribution à la mode africaine.

Sur le plan créatif, le couturier participe régulièrement au Festival international de la mode africaine (FIMA) et milite pour que la mode devienne un secteur structuré. En 2019, la directrice artistique de Dior, Maria Grazia Chiuri, lui demande de créer une chemise pour le défilé Dior Cruise 2020. Pathé’O imagine un imprimé inspiré des chemises portées par Mandela et travaille avec la société ivoirienne Uniwax pour réaliser un tissu 100 % africain. Il souhaite rappeler que les produits entièrement africains peuvent être du luxe et souligne que les wax prints transmettent des messages sociaux.

Une vision pour la jeunesse africaine

Toujours actif dans son atelier, Pathé’O se présente comme un homme simple qui veut transmettre son métier. Il insiste sur le fait que la couture n’est pas un métier destiné « aux personnes sans éducation » mais un secteur de création de richesse. Il encourage les jeunes Africain·e·s à apprendre la couture et à entreprendre ; il considère la formation comme essentielle pour développer l’industrie et réduire la dépendance aux importations. 

Héritage et influence

L’histoire de Pathé’O incarne la rencontre entre le talent, l’audace et l’attachement à la culture africaine. Parti d’un petit atelier de Treichville, il est devenu l’un des ambassadeurs de la mode africaine, habillant des chefs d’État et des personnalités du monde entier et inspirant des générations de créateurs. Son combat pour valoriser les textiles locaux, industrialiser la production et former des jeunes contribue à façonner une industrie de la mode durable en Afrique. Le succès international de ses chemises colorées montre que l’élégance africaine peut rivaliser avec les plus grandes maisons, tout en restant fidèle à ses racines.

Mérimé Wilson

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